Quelles solutions pour préserver les pollinisateurs dans nos villes ?
Nos articles signatures • 24/09/2025 • 6 min
La survie et l’essor des pollinisateurs sont gravement impactés par les activités humaines, dont l’urbanisation. Essentiels au maintien des écosystèmes, des méthodes favorables pour les maintenir dans nos paysages urbains existent. Voici lesquelles !
- Ressources et Environnement

Introduction
Un déclin des pollinisateurs a été observé au cours des trois dernières décennies. Plus des trois quarts des insectes volants ont disparu, et 40 % des espèces sont aujourd’hui menacées. Les principales causes de ce dépérissement sont les pesticides, les espèces invasives et pathogènes, le changement climatique, ainsi que leurs pertes d’habitat. Mais ces insectes pollinisateurs sont essentiels pour les écosystèmes et la biodiversité. En effet, ce sont eux qui assurent la majorité de la reproduction végétale. Ils transportent les grains de pollen des étamines, les organes mâles d’une fleur, aux pistils, les organes femelles d’une autre fleur. La pollinisation peut également se faire par le vent et l’eau.
Sans les pollinisateurs, de nombreuses cultures perdraient en rendement, voire en viabilité. Il est donc primordial de travailler à protéger ces insectes sauvages, notamment dans les milieux urbains, dont certaines zones bien aménagées pourraient constituer des refuges.
444 groupes d’insectes distincts identifiés à Nancy
À partir de ce constat, Alice Michelot-Antalik, experte Unys, agroécologue au Laboratoire Agronomie et Environnement (UL ; INRAE), a coordonné le projet « Grand Nancy Terre de pollinisateurs » afin de mieux connaître leur diversité, ainsi que celle des espèces florales présentes sur le territoire, mais aussi pour sensibiliser les acteurs du milieu et le grand public. Douze espaces verts ont ainsi été passés au crible et se sont avérés être de véritables havres, parfois insoupçonnés, pour les insectes pollinisateurs, grâce à la diversité florale qui s’y trouve.
Cependant, loin d’être égaux, tous les parcs n’offrent pas les mêmes conditions. Leur emplacement, leur isolement par les routes ou leur végétation influencent directement la présence — ou l’absence — et les déplacements des pollinisateurs. Et pour mieux les connaître sur le territoire, un inventaire des insectes et des fleurs a été mené dans différents espaces verts classés selon leur type de paysage (urbain, agricole, forestier).
Pour réaliser leur inventaire, les chercheur·ses ont observé les insectes présents sur les fleurs, et capturé plusieurs spécimens afin de constituer une collection de référence. Lorsque l’on pense aux pollinisateurs, on imagine généralement les abeilles mellifères, celles, domestiques, qui produisent le miel. Or, bien que présentes en grand nombre, il existe quantité d’autres espèces qui, elles, sont sauvages. Résultat de l’inventaire : 444 groupes d’insectes distincts – appelés taxons – ont été recensés, dont 370 espèces précisément identifiées.
Les plus fréquents ? Les hyménoptères, bien sûr, mais aussi des diptères, des lépidoptères, et de nombreux coléoptères. Ces populations ne se répartissent pas au hasard : les abeilles sauvages préfèrent les parcs de centre-urbain, tandis que les papillons et coléoptères sont plus présents dans les espaces verts près des zones agricoles ou forestières. Et si quelques gestes d’entretien suffisaient à faire revenir les butineurs ? C’est ce qu’ont voulu vérifier les chercheur·ses sur le terrain.
Chaque espèce florale a ses propres fans chez les pollinisateurs
L’équipe d’Alice Michelot-Antalik a réalisé des observations et des prélèvements afin de déterminer quelles espèces de fleurs attirent le plus les pollinisateurs. Ceux-ci sont accrochés par un large éventail de caractéristiques, couleur, parfum, forme, quantité et accessibilité du nectar…, appelées traits floraux et varient selon les espèces. Quant à l’aire florale — la surface visible occupée par les fleurs d’une plante —, elle influence directement l’attractivité de celle-ci pour les insectes. Enfin, le nombre de fleurs sur une même plante, est un autre facteur clé. Plus il y en a, plus l’insecte aura de raisons de s’y poser. Ce sont tous ces atouts qui les séduisent.
Chaque espèce florale a ses fans. Certaines appâtent les bourdons, comme l’Agastache urticifolia qui a un grand nombre de fleurs, d’autres, telle la Verveine muriel avec des fleurs à corolle profonde, attirent les papillons qui, grâce à leur trompe, ont plus de facilité à atteindre le nectar.
Quand la sécheresse frappe, les plantes s’affaiblissent : moins de fleurs, moins hautes, et parfois moins de nectar. Résultat : elles deviennent moins attrayantes. C’est un peu comme si le buffet se vidait en pleine fête. Un enjeu de taille, car certaines espèces florales résistent mieux que d’autres — un facteur à prendre en compte dans l’aménagement urbain.
L’équipe de recherche s’est également intéressée aux méthodes de gestion de ces espaces : la fréquence de fauche et de tonte, l’entretien des espaces floraux, les plantations… Tondre trop souvent, c’est réduire les fleurs et faire fuir les insectes qui en dépendent. Les prairies fleuries semées avec des mélanges de plantes florales pour favoriser la biodiversité sont apparues comme particulièrement séduisantes pour les insectes. A contrario, instaurer un pâturage trop intense diminue drastiquement l’attractivité.
Des actions de sensibilisation
Pas besoin de choisir entre esthétisme et biodiversité. Avec quelques ajustements, la ville peut être tout autant attirante pour les humains que pour les insectes. L’équipe de recherche a donc mis en œuvre des actions de vulgarisation scientifique autour de ce projet pour sensibiliser à la fois le grand public et les gestionnaires. Le grand public, à travers diverses actions telles qu’une exposition ou des conférences, a été incité à s’intéresser à la préservation de ces insectes, notamment en apprenant à les observer et à les identifier. Quant aux gestionnaires, ils ont eu l’opportunité de suivre des conférences et des formations, et ainsi apprendre à mieux sélectionner les plantes qui attireront ces pollinisateurs en fonction des références florales qu’ils ont à disposition. Ils ont aussi découvert des techniques simples mais efficaces pour rendre leurs espaces plus accueillants pour les insectes.
Du sol à la canopée, l’enquête continue
Alice Michelot-Antalik et son équipe vont désormais se pencher sur une strate plus arborée : les pollinisateurs présents dans les arbres pour réaliser les mêmes observations et prélèvements, et mettre ainsi en place toujours plus d’actions de sensibilisation et de protection autour des insectes. Un autre pan du projet concerne les agriculteurs présents en périphérie de la métropole pour déterminer le lien entre la ville et l’agriculture de colza. Les pollinisateurs se déplacent dans un large périmètre et nombre d’entre eux peuvent se retrouver dans les champs. Des espaces verts bien aménagés peuvent-ils être un plus pour les agriculteurs et leur permettre un meilleur rendement dans leur culture ?
En conjuguant observation, sensibilisation et aménagement adapté, les villes peuvent devenir de précieux refuges pour nos pollinisateurs. Un défi passionnant, à la croisée de la biodiversité et de l’urbanisme, pour que demain, nos villes continuent à bourdonner de vie.
Sources
Ollerton, J., Winfree, R. & Tarrant, S. How many flowering plants are pollinated by animals? Oikos 120, 321–326 (2011).
Les pollinisateurs. https://www.ofb.gouv.fr/les-pollinisateurs.
Sánchez-Bayo, F. & Wyckhuys, K. A. G. Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers. Biological Conservation 232, 8–27 (2019).
Michelot-Antalik, A., Quinanzoni, M., Vallet, A. (2024). Rapport final du projet « Grand-Nancy Terre de pollinisateurs », Université de Lorraine, 51 pp.
Conférence d’Alice Michelot-Antalik. Face au béton, quels refuges pour les insectes pollinisateurs. Conf’s de Bio. 12 mars 2025
©N. Dohr