Et si l’agriculture de demain était déjà une réalité ?

Nos articles signatures • 24/07/2025 • 5 min

Pour répondre aux enjeux sociétaux, de nouvelles formes d’agriculture plus durables sont nécessaires. C’est la mission qu’a endossée une ferme expérimentale à taille réelle, en Lorraine, dans l’Est de la France.

À Mirecourt, au cœur du plateau lorrain, sur la plaine des Vosges (88), une ferme pas comme les autres a vu le jour. On y retrouve des vaches, des brebis et des porcs élevés en plein air, non loin de prairies et de parcelles cultivées qui s’étendent à perte de vue. Des veaux courent et se prélassent au soleil, surveillés de loin par leurs nourrices.

Dans le bâtiment principal de la ferme, c’est l’effervescence. Chercheurs, ingénieurs, techniciens ou étudiants se croisent, en bottes et tenues de terrain. Certains reviennent de la traite des vaches ou de la maintenance des tracteurs, lorsque d’autres se baladent calepins dans une main et échantillon de lait ou de sol dans l’autre. Cette ferme n’est pas comme les autres, elle est expérimentale. Le projet scientifique qui prend place, intitulé PAPILLE (système de Polyculture polyélevage Autonome, conçu Pas à pas pour l’alImentation humaine, avec Les ressources du miLiEu), a été imaginé par l’ensemble du collectif de recherche et est piloté par Bénédicte Autret, experte Unys, ingénieure de recherche à INRAE où elle est Directrice de l’unité de recherche AgroSystèmes TErritoires Ressources (ASTER). La ferme est composée d’un troupeau de bovins laitiers (vaches), d’ovins allaitant (moutons) et de porcins (cochons), mais également de productions végétales. On parle ici de système de polyculture-élevage, où sont présents simultanément cultures végétales et productions animales.

  • Ressources et Environnement

Inventer une nouvelle manière d’élever et de cultiver

Cette ferme, unique en France, est conçue tel un laboratoire géant où sont expérimentées de nouvelles méthodes de conduite agricole de polyculture-élevage autonome élaborées « pas à pas ». Ce concept repose sur la valorisation de l’expérience acquise par les agents au fil de l’expérimentation, pour mieux piloter le projet et faire évoluer sa conduite. Sur plus de 240 hectares se mêlent élevages, cultures végétales et expériences scientifiques. L’équipe de Bénédicte Autret travaille à la conception de pratiques agricoles innovantes, afin d’accompagner la transition agri-alimentaire des territoires dans cette ferme certifiée en agriculture biologique (AB). Selon elle, il faut « accompagner le monde agricole dans une transition pour s’adapter au changement climatique et aux fortes contraintes, ainsi qu’opter pour une voie plus sobre ».

Plutôt que d’être menées en laboratoire et à petite échelle, les études sont réalisées en immersion quotidienne sur le terrain. Au sein de cette unité, une trentaine de personnes œuvrent au bon fonctionnement de la ferme, tels que des techniciens de recherche, des ingénieurs, des doctorants, des chargés de recherche, des gestionnaires où chacun contribue à sa manière au pilotage des cultures, des ateliers d’élevage et aux expérimentations scientifiques.

photo de la ferme

Et si les veaux montraient la voie ?

Ce projet expérimental cache un véritable enjeu sociétal. « Le métier d’agriculteur est un métier qui souffre d’un manque d’attractivité, nos recherches visent à explorer de nouvelles organisations du travail plus compatibles avec les attentes des futures générations de paysan.nes », explique Bénédicte Autret. Les éleveurs peuvent avoir des difficultés à mener une vie de famille équilibrée ou bien à prendre des congés. L’équipe d’ASTER teste et expérimente des pratiques et organisations moins chronophages qui pourront être par la suite diffusées auprès des professionnels. L’un des enjeux primordiaux de la ferme est de rendre ces pratiques agricoles réalistes avec une rentabilité économique pour garantir leur déploiement et l’attractivité auprès des agriculteurs.

Les expérimentations sont basées sur une réflexion autour de la productivité, mais aussi du bien-être animal. Une nouvelle méthode d’élevage des veaux laitiers a été mise en place au sein du troupeau de vaches. Habituellement nourris à la main par l’éleveur, une tâche coûteuse et chronophage, ils sont ici élevés sous vache nourrice. Les veaux sont adoptés par des vaches et peuvent téter comme bon leur semble et au grand air. Par ailleurs, il s’agit là d’un véritable enjeu sanitaire, cette méthode contribuant à la diminution d’usage d’antibiotique chez ces animaux. Et contrairement aux élevages plus traditionnels où les vaches et les brebis sont partiellement nourries aux céréales, dans le projet PAPILLE, elles pâturent exclusivement de l’herbe (ou du foin), et parfois ensemble dans les mêmes prairies afin de valoriser au mieux la ressource en herbe. Quant à l’élevage des porcs, il se fait en plein air où ils peuvent pâturer la luzerne et consommer le lait non-commercialisé, ainsi que les déchets issus des cultures. Ils agissent ainsi comme de vrais détritivores dans le système et contribuent à un bouclage des éléments.

Photos des animaux dans leur environnement

Cultiver la diversité pour traverser les crises

En plus de l’élevage, différents types de végétaux sont présents sur les 240 hectares de la ferme : des prairies permanentes et temporaires, et des cultures annuelles. Environ 70 hectares sont consacrés à ces dernières et destinées à l’alimentation humaine (blé, avoine de floconnerie, orge brassicole, lentilles, pois chiche, tournesol, pomme de terre, etc.). Les prairies temporaires occupent 35 hectares et sont semées avec des espèces sélectionnées (graminées, légumineuses), et exploitées pendant quelques années (fauches pour entretenir les stocks de foin) avant d’être remplacées par des cultures annuelles. Les prairies permanentes occupent 135 hectares, et sont naturelles ou implantées depuis plus de 5 ans, restent en place de manière durable, souvent composées d’une grande diversité végétale. Elles jouent un rôle clé dans la biodiversité, le stockage du carbone et la préservation des sols tout en servant de ressource alimentaire pour le bétail. Ces différentes parcelles permettent d’offrir un équilibre et une biodiversité riche.

Former aujourd’hui ceux qui nourriront demain

Tous les savoirs et les connaissances acquis au cours de ces expériences ont pour objectif d’être partagés aux agriculteurs, aux étudiants, au grand public pour qu’ils puissent s’en inspirer à l’avenir. La ferme est donc un support de formation à part entière pour professionnels et apprenants. Elle leur permet de se familiariser avec des pratiques en rupture et d’échanger avec les expérimentateurs sur les conditions de déploiement. « Ils viennent de la France entière pour faire ces visites… On en voit venir de Normandie ou de Bretagne », indique Bénédicte Autret.

Le projet PAPILLE est loin d’être achevé. L’expérimentation se poursuit pour affiner les pratiques, les rendre plus résilientes face aux défis climatiques et économiques. Tests de nouvelles cultures, cycles d’élevage adaptés en fonction des aléas et des solutions innovantes pour limiter l’impact environnemental seront explorés. La formation et l’accompagnement des professionnels restent une priorité pour faire adopter ces modèles à plus grande échelle. La ferme expérimentale ambitionne de devenir une référence en matière d’agriculture durable et autonome, en inspirant une production respectueuse des ressources et du vivant.

Sources

  1. Schott, C. & Guillemin, P. Observatoire des systèmes agri-alimentaires en transition à l’échelle d’un territoire (ReGATERR-OFALIM).
  2. Puech, T. et al. Analyser une transition vers la diversification: entre performances techniques et conditions territoriales d’émergence. Le cas de la transition de l’Installation Expérimentale ASTER. . Introduction.
  3. https://aster.nancy.hub.inrae.fr/.
  4. Bio Grand Est https://biograndest.org/search/autret/.