Pourquoi l’économie sociale et solidaire est-elle essentielle pour un développement plus juste et durable ?

Nos articles signatures • 12/09/2025 • 6 min

Loin d’être une simple utopie, l’économie sociale et solidaire (ESS) s’impose comme un modèle économique alternatif capable de répondre aux défis sociaux et environnementaux de notre époque.

  • Société

Introduction

Comment fonctionne concrètement l’économie sociale et solidaire ? Et en quoi ses mécanismes d’innovation sont-ils uniques ? Paul Muller, professeur et chercheur en sciences économiques à l’Université de Lorraine, expert Unys, s’intéresse depuis plusieurs années aux dynamiques de l’économie sociale et solidaire et à ses interactions avec l’innovation sociale. Ses travaux analysent la manière dont les acteurs de l’ESS développent des solutions innovantes en s’appuyant sur des modèles collaboratifs et participatifs. Grâce à une approche rigoureuse, il met en lumière les mécanismes spécifiques qui permettent à ces structures de prospérer tout en poursuivant des objectifs d’intérêt général. « L’économie sociale et solidaire repose sur un troisième mécanisme économique, complémentaire au marché et à l’État : la réciprocité. Ce modèle existe depuis les premières sociétés humaines et se traduit aujourd’hui par des structures coopératives et participatives », explique Paul Muller.

Un modèle économique qui privilégie l’impact social

L’ESS constitue un modèle économique fondé sur la coopération, la démocratie et l’ancrage territorial. Contrairement à l’économie lucrative, axée sur le profit, elle vise à répondre à des besoins sociaux et sociétaux en s’appuyant sur des principes de solidarité et de réciprocité. Cette approche se retrouve dans les coopératives, les mutuelles, les associations, les fondations ou encore les entreprises d’utilité sociale.

L’économie classique repose principalement sur deux piliers : le marché et l’organisation publique. En revanche, l’ESS met en avant un troisième mécanisme essentiel : la réciprocité. Ce concept correspond à une forme d’altruisme conditionné, où chacun contribue au bien collectif en anticipant que d’autres fassent de même. Il s’agit d’un modèle économique ancestral, observable dès les premières sociétés humaines, basées sur l’entraide. « La performance économique ne doit être qu’un moyen pour atteindre une mission d’intérêt général, souligne Paul Muller. Dans l’ESS, l’objectif n’est pas de maximiser le profit, mais d’assurer un service aux adhérents et bénéficiaires. »

Concrètement, les entreprises de l’ESS ne cherchent pas à augmenter leurs profits, mais à remplir une mission sociale ou environnementale. Leurs bénéfices sont souvent réinvestis dans l’activité pour garantir leur durabilité plutôt que d’être redistribués sous forme de dividendes.

L’innovation sociale au cœur du modèle ESS

L’ESS repose sur des logiques de coopération qui favorisent l’émergence d’initiatives locales adaptées aux besoins spécifiques des territoires. Ce modèle met en avant une gouvernance démocratique et participative où les décisions sont prises collectivement par les acteurs concernés. Contrairement aux entreprises classiques où la hiérarchie et la recherche de rentabilité priment, les structures de l’ESS privilégient des modes de fonctionnement plus participatifs et inclusifs.

L’ESS se distingue également par son approche de l’innovation. Là où l’économie traditionnelle privilégie le progrès technologique et la compétition, l’ESS développe des innovations sociales qui s’appuient sur la collaboration, l’échange de savoirs et le partage de ressources. Ces innovations émergent souvent au croisement des initiatives citoyennes et des politiques publiques, favorisant des réponses collectives aux défis sociaux et environnementaux. « L’innovation sociale repose souvent sur une dynamique ascendante : les citoyens sont à l’origine des solutions, qui sont ensuite consolidées par des structures intermédiaires et institutionnelles », précise Paul Muller.

Trois niveaux d’innovation pour transformer la société

L’ESS repose sur une interaction dynamique entre trois niveaux d’innovation :

  • L’Underground : la créativité individuelle, où des idées émergent sans objectif immédiat de valorisation économique.
  • Le Middleground : un espace intermédiaire où ces idées sont partagées, testées et développées par des collectifs (associations, coopératives).
  • L’Upperground : le niveau institutionnel et organisationnel, où les idées trouvent une application concrète via des entreprises, à but lucratif ou structures de l’ESS, des marchés ou des politiques publiques.

Cette structure favorise l’émergence et le déploiement d’initiatives locales porteuses de changement, en facilitant la transition d’une idée innovante à une solution durable.

Le rôle clé de l’intermédiation dans l’ESS

L’innovation sociale ne repose pas uniquement sur des idées novatrices, mais aussi sur des mécanismes permettant leur diffusion et leur mise en œuvre. Les structures de l’ESS jouent un rôle fondamental dans ce processus en tant qu’intermédiaire d’innovation. Elles facilitent la connexion entre les différents niveaux d’innovation ainsi qu’entre différentes catégories de parties prenantes (usagers, structures publiques et collectivités, entreprises…).

Par exemple, dans le dispositif Start-up de Territoire, le groupe Archer a joué un rôle pivot en reliant les porteurs d’idées locales aux institutions et aux acteurs économiques. Cette interconnexion permet d’accélérer la mise en œuvre des innovations sociales et d’assurer leur viabilité. « Sans un ancrage territorial fort et un réseau d’intermédiaires engagés, les innovations sociales peinent à se diffuser à grande échelle », analyse Paul Muller.

Le numérique, un accélérateur pour l’ESS ?

Le numérique joue un rôle croissant dans l’ESS en facilitant l’accès aux ressources, la collaboration et la diffusion des initiatives. Les plateformes d’engagement citoyen permettent, par exemple, de mettre en réseau les porteurs de projet avec des bénévoles ou des investisseurs solidaires.

Le concept de « communs numériques » est essentiel ici. Comme l’a démontré Elinor Ostrom, les ressources partagées peuvent être gérées collectivement pour maximiser leur impact. Les plateformes open-source, les banques de connaissances et les outils collaboratifs sont autant de moyens d’amplifier l’innovation sociale.

Stratégies pour développer et pérenniser les innovations sociales

Les travaux de Muge Ozman et Cédric Gossart identifient trois stratégies de mise à l’échelle des innovations sociales :

  • La réplication : dupliquer un modèle sur d’autres territoires.
  • Le changement institutionnel : influencer les politiques publiques pour favoriser l’adoption de l’innovation.
  • L’amplification locale : soutenir les initiatives en renforçant leurs ressources et leur visibilité.

Les cryptoactifs, de nouveaux outils pour l’ESS ?

Au-delà des stratégies classiques, certaines innovations sociales émergent grâce aux technologies numériques, notamment les cryptoactifs. Ces monnaies décentralisées, comme le Bitcoin ou l’Ethereum, peuvent être vues comme une nouvelle forme d’innovation sociale en permettant des transactions sans intermédiaires financiers traditionnels. Certaines initiatives, comme le projet FairCoin, tentent d’adapter ces outils au service de l’économie sociale et solidaire, en créant des systèmes de paiement coopératifs et transparents.

Cependant, l’usage des cryptoactifs dans l’ESS pose encore des défis, notamment en matière de régulation, de stabilité et d’impact environnemental. Mais ils ouvrent la voie à de nouvelles formes de financement participatif et de gouvernance décentralisée, qui pourraient transformer la manière dont les acteurs de l’ESS accèdent aux ressources et développent leurs projets.

Une alternative crédible au modèle dominant

L’économie sociale et solidaire offre une alternative à l’économie traditionnelle en mettant en avant la coopération, la réciprocité et l’ancrage territorial. En favorisant des dynamiques d’innovation sociale soutenues par des modèles collaboratifs et numériques, elle constitue un levier puissant pour répondre aux défis sociaux et environnementaux contemporains.

Sources

Beta. https://www.beta-economics.fr/annuaire/251/muller_paul/.

Didier, R., Tadjeddine, Y. Les cryptoactifs, innovations sociales et institutions. Management Internationali 28, 106-116 (2024).

Muller, P., Szostak, B. L. & Andion, C. Introduction au numéro thématique: La production des innovations sociales à l’ère de la créativité et du numérique : l’importance de l’encastrement, de la construction des communs et des interactions sociales. Management Internationali 28, 7–13 (2024).

Muller, P., Szostak, B. L. & Andion, C. Mot des rédacteurs invités: La production des innovations sociales à l’ère de la créativité et du numérique. Management International 28, 4–4 (2024).

Ozman, M., Gossart, C. Scaling in social enterprises: The case of digital social innovations. Management International 28, 55-67 (2024).