Et si une riposte au cancer du sein passait par l’escrime ?
Nos articles signatures • 22/09/2025 • 6 min
Chaque année en France, plus de 60 000 femmes apprennent qu’elles sont atteintes d’un cancer du sein. Une épreuve physique, mais aussi psychologique, qui ne s’arrête pas à la fin des traitements. Et si le sport — en particulier un sport inattendu comme l’escrime — devenait une arme de reconstruction ? C’est le pari du programme R.I.P.O.S.T.E., mené avec rigueur scientifique et conviction humaine.
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Introduction
En octobre, comme tous les ans, les vitrines se parent de rose, les spots de sensibilisation s’enchaînent, et les campagnes pour le dépistage du cancer du sein redoublent d’intensité. Mais une fois la maladie prise en charge, que devient la vie des femmes concernées ? Que se passe-t-il après les traitements, quand le quotidien revient, mais que plus rien n’est comme avant ?
Car la vraie bataille commence parfois une fois les soins terminés. Ce que l’on appelle « l’après-cancer » est une phase souvent invisible, mais redoutablement difficile. Les gestes simples du quotidien — porter un sac, lever un bras, attacher un soutien-gorge, ouvrir une fenêtre — deviennent des défis. La fatigue est constante, la concentration plus difficile. L’image de soi, abîmée par la maladie, les cicatrices ou l’ablation, vacille. À cela s’ajoutent l’anxiété, l’isolement, voire la dépression. « Le cancer du sein ne s’arrête pas à la rémission », résume le professeur Mathias Poussel, médecin du sport au CHRU de Nancy et expert Unys. « Il laisse des traces profondes. La reconstruction n’est pas qu’une affaire chirurgicale : elle est physique, psychique et sociale. »
Un programme dédié pour une nouvelle vie épanouie après la maladie
L’activité physique n’est pas un luxe après un cancer, c’est une nécessité médicale. Depuis 2008, l’INSERM, l’INCa et la HAS s’accordent sur les bénéfices avérés de l’activité physique adaptée : meilleure qualité de vie, réduction de la fatigue, baisse de l’anxiété, prévention des récidives, amélioration du sommeil et du fonctionnement cognitif. Pourtant, trop peu de femmes reprennent une activité physique après leur traitement. Peur de se blesser, solitude, méconnaissance de l’offre… Les freins sont nombreux.
C’est pour y répondre qu’est né le programme R.I.P.O.S.T.E. — un acronyme pour Reconstruction, Image de soi, Posture, Oncologie, Santé, Thérapie, Escrime. Et le choix de l’escrime n’est pas anodin. Ce sport exigeant mais non traumatisant mobilise les bras, le dos, les jambes… et, surtout, la volonté. Il permet une remobilisation en douceur, progressive et valorisante. Contrairement à d’autres sports plus exposés, il peut être pratiqué sans contact direct, avec des mouvements adaptables et sécurisés.
« La symbolique est puissante : se remettre en garde, reprendre le contrôle, frapper sans violence… Cela parle à des femmes qui ont vécu une forme de dépossession physique et psychique », explique Mathias Poussel. Le sabre n’est pas une arme ici : c’est un prolongement du corps en reconstruction.
Et les bénéfices sont mesurés : une étude randomisée menée à Nancy démontre que pratiquer l’escrime dès les premières semaines post-opératoires entraîne une amélioration significative de la qualité de vie à six mois. Fatigue physique et mentale, douleur au bras, anxiété… tous les marqueurs cliniques s’améliorent de façon notable, avec un suivi rigoureux.
Une pratique pensée pour les corps fragilisés
Tenue intégrale couvrante pour préserver la pudeur, bustier qui redonne une silhouette harmonieuse même après une ablation, gestes maîtrisés et sans impact : chaque détail compte. Les séances, d’une durée d’1h à 1h30, sont menées par des maîtres d’armes formés spécifiquement. La discipline mobilise bras, jambes, équilibre et coordination tout en favorisant une posture ouverte. La garde, position d’ouverture, rééduque l’épaule opérée, trop souvent repliée. Les parades mobilisent l’amplitude articulaire. Et l’élégance du sport, elle, redonne un sentiment de puissance.
« La femme touchée par un cancer du sein n’a pas seulement perdu de l’énergie, elle a parfois perdu des repères, une image d’elle-même », rappelle Mathias Poussel. « L’escrime, par son esthétique, sa rigueur et sa symbolique, peut contribuer à cette reconstruction identitaire. » Un impact mesuré : une étude pilote menée par son équipe à Nancy a prouvé que les femmes ayant commencé l’escrime dès la fin de l’opération voient leur qualité de vie s’améliorer significativement au bout de six mois.
D’immenses gains physiques, mais aussi psychiques
Mais les bienfaits ne s’arrêtent pas là. L’escrime ne soigne pas que les muscles, elle restaure aussi ce qu’aucun scanner ne peut détecter : l’élan vital, le sentiment d’appartenance, la place dans le monde. Le programme recrée du lien social, brise l’isolement, et permet aux femmes de reprendre goût au collectif. Dans la salle d’armes, on ne parle pas que de technique. On parle de peurs, de petites victoires, d’échecs digérés, d’éclats de rire partagés. Une communauté se forme, soudée par l’expérience de la maladie mais tournée vers autre chose : la vie d’après.
Certaines participantes deviennent bénévoles, d’autres s’impliquent dans les associations locales ou les structures sportives. À mesure qu’elles reprennent confiance en elles, elles deviennent des modèles pour d’autres, des éclaireuses. Le programme ne se contente pas d’aider des patientes : il crée des ambassadrices. On les appelle entre elles les “riposteuses”. Et ce surnom en dit long : ici, on n’est pas victime, on agit. On riposte. Par le mouvement, par le sourire, par la présence.
« Quand une patiente entre en salle d’armes, elle doit sentir qu’elle n’a rien à justifier. On connaît son parcours, ses douleurs, ses doutes. On lui tend juste une lame et on l’accompagne », confie le professeur Mathias Poussel. Cette posture bienveillante, jamais intrusive, est au cœur du succès du programme. Elle repose sur une alchimie rare entre rigueur sportive, sécurité médicale et écoute humaine. Car si chaque femme arrive avec son histoire, elle repart avec quelque chose en plus : la sensation d’être à nouveau actrice de son corps, de son récit, de son avenir.
Une initiative qui se diffuse… à l’international
R.I.P.O.S.T.E. a commencé en France, mais sa lame a déjà franchi les frontières. À ce jour, plus de 110 clubs sont labellisés, 300 maîtres d’armes formés, et plus de 6 000 femmes accompagnées. Et le modèle intéresse : des clubs suisses, belges, italiens, canadiens ont rejoint l’initiative. Des pays d’Afrique comme le Burkina Faso ou la République du Congo ont manifesté leur volonté d’adopter cette approche.
Cette diffusion internationale n’est pas un simple transfert de méthode : elle témoigne d’une vision partagée où le sport devient un outil de soin global, culturellement adapté et accessible. Elle est aussi le reflet d’une politique de santé innovante et inclusive portée par la France dans le cadre des Jeux Olympiques 2024.
Ce rayonnement repose sur une charte claire, un livret de bonnes pratiques, et un système de formation continue. Car pour Mathias Poussel, « on ne peut pas improviser une escrime post-cancer. Il faut la penser, la construire, l’évaluer… et l’améliorer en permanence. » C’est tout l’enjeu du comité scientifique du programme, qui rassemble médecins, chercheurs, maîtres d’armes et patientes.
Et si c’était vous ?
Vous connaissez peut-être une riposteuse sans le savoir. Une collègue, une voisine, une amie. Une femme qui a choisi de reprendre le contrôle, non pas avec des médicaments, mais avec une lame souple, des gestes précis et un sourire en coin après une touche bien placée. En ce mois d’Octobre Rose, rappelons-le : se reconstruire, c’est aussi réapprendre à bouger, à se sentir forte, vivante. Et parfois, à croiser le fer pour mieux tourner la page.
Sources
Omorou, A. Y. et al. Adapted Fencing for Patients With Invasive Breast Cancer: The RIPOSTE Pilot Randomized Controlled Trial. Front. Sports Act. Living 4, 786852 (2022).
Hasnaoui, S. et al. Déterminants du comportement d’Activité Physique chez les survivantes du cancer du sein participant au programme RIPOSTE : une étude qualitative utilisant le cadre des domaines théoriques : Santé Publique 37, 151–171 (2025).
Hasnaoui, S. et al. Evaluating the feasibility and acceptability of an adapted fencing intervention in breast cancer surgery post-operative care: the RIPOSTE pilot randomized trial. Front. Oncol. 14, 1335442 (2024).
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