Et si la transition verte se gagnait grâce à nos batteries usées ?
Nos articles signatures • 29/10/2025 • 7 min
Derrière chaque batterie, chaque aimant d’éolienne, chaque moteur électrique, se cache un monde invisible : celui des métaux stratégiques. Alexandre Chagnes, chercheur à l’Université de Lorraine, expert Unys, nous emmène dans les coulisses de leurs vies multiples, entre extraction, recyclage et défis géopolitiques.
En 2025, la transition énergétique s’accélère, mais nos dépendances aux métaux stratégiques s’intensifient. Face à l’épuisement des ressources naturelles et aux tensions géopolitiques, le recyclage des matériaux critiques devient un levier clé pour l’autonomie européenne. Dans ce contexte, mieux comprendre la seconde vie de nos batteries et aimants n’est plus seulement une question technique : c’est un enjeu industriel, écologique et stratégique.
- Matériaux

Batteries, aimants… Des flux de déchets toujours plus complexes
Un des grands enjeux aujourd’hui, c’est l’irrégularité et la diversité des déchets à traiter. Batteries de compositions différentes, composants électroniques obsolètes, aimants de tailles variées… Chaque flux a ses propres caractéristiques chimiques et physiques. Cela complique considérablement les étapes de tri, de prétraitement et de dissolution.
Dans ce contexte, les procédés développés doivent être agiles, adaptables, tolérants aux impuretés. C’est l’un des axes forts des travaux d’Alexandre Chagnes : rendre les processus flexibles sans perdre en efficacité. Par exemple, son équipe a mis au point un procédé capable de récupérer efficacement le lithium, même quand il est présent en très faible quantité, en utilisant des membranes qu’on peut réutiliser plusieurs fois. Ces avancées sont cruciales, car elles permettent de transformer ce qui, hier encore, était considéré comme un rebut sans valeur en matière première de haute qualité.
« Le recyclage n’est plus une option » : une réglementation européenne qui pousse à innover face aux enjeux géopolitiques
Ce travail de fourmi est aujourd’hui dopé par la pression réglementaire. L’Union européenne impose désormais que chaque batterie contienne un pourcentage de matériaux recyclés : 12 % de cobalt, 4 % de lithium et de nickel d’ici 2030, avec des objectifs doublés pour 2035. Cette obligation change la donne. « Avant, recycler était une option ; aujourd’hui, c’est une nécessité industrielle », souligne Alexandre Chagnes. Et au-delà des obligations, il y a des enjeux géopolitiques majeurs. La majorité des terres rares viennent de Chine, le cobalt de République Démocratique du Congo. Développer une autonomie européenne sur ces ressources devient un enjeu stratégique.
Des recettes chimiques pour recycler les batteries
Dans les couloirs du laboratoire GeoRessources (CNRS – Université de Lorraine), à Nancy, tout semble calme. Mais derrière les paillasses et les spectrophotomètres, c’est un véritable chantier scientifique qui s’active. Alexandre Chagnes y dirige des recherches à la frontière de la métallurgie, la chimie des solutions et la durabilité. Dans les flacons, ce ne sont pas des potions magiques, mais des solutions de lixiviation finement contrôlées, capables de dissoudre et extraire le nickel ou le cobalt à partir de batteries usagées.
« Ce que nous faisons ici, c’est transformer les déchets du passé industriel en ressources pour demain », explique-t-il. Son équipe explore, teste, modélise. Dans son laboratoire, on ne cherche pas à extraire les métaux du sol, mais à leur donner une seconde vie. Les cartes électroniques, les batteries lithium-ion, les aimants permanents… autant de gisements urbains que les chercheurs apprennent à décrypter et à transformer.
Concrètement, l’équipe du laboratoire GeoRessources mesure l’efficacité d’un acide, l’affinité d’une résine ou d’une molécule, la cinétique d’un échange d’ions. Rien n’est laissé au hasard : chaque paramètre compte pour optimiser les procédés, les rendre plus propres, plus sélectifs, plus reproductibles.
Leur méthode ? La voie hydrométallurgique, une approche qui repose sur des bains chimiques plutôt que des fours à haute température. « C’est comme cuisiner un bouillon, mais avec du lithium et du cobalt », plaisante Alexandre Chagnes. À chaque déchet sa recette : pour les cartes électroniques, il faut séparer les couches, les tamiser, les dissoudre. Pour les batteries, c’est une poudre noire appelée « black mass » qui concentre les métaux convoités.
Mais tout n’est pas si simple. Le recyclage des batteries pose de nombreux défis : les matériaux sont enchevêtrés, les compositions varient, et la pureté des métaux récupérés doit être exemplaire. Alexandre Chagnes et son équipe ont mis au point des techniques de lixiviation sélective et d’extraction liquide-liquide pour mieux séparer les métaux. Ils ont même testé la recirculation des résidus pour améliorer les rendements tout en limitant la consommation d’acide.
Vers une alternative pour extraire moins
Un volet moins connu, mais tout aussi passionnant du travail d’Alexandre Chagnes porte sur la solvométallurgie, une alternative encore émergente aux méthodes traditionnelles d’extraction. Contrairement à l’hydrométallurgie, qui utilise l’eau comme solvant, cette approche mise sur des solvants organiques pour dissoudre les métaux présents dans les sulfures.
Pourquoi est-ce important ? Parce que les gisements traditionnels s’épuisent, et que leurs teneurs en métaux diminuent. Extraire plus avec moins devient la norme. Les recherches d’Alexandre Chagnes ont montré que certains mélanges à base d’éthylène glycol ou d’acides organiques permettaient d’extraire jusqu’à 90 à 95 % de métaux comme le nickel. De quoi envisager des alternatives plus propres à la pyrométallurgie, encore largement utilisée mais énergivore et polluante.
Redessiner les flux de matière en s’attaquant à une diversité de déchets
Les recherches d’Alexandre Chagnes ne s’arrêtent pas aux batteries. Il s’attaque aussi aux aimants permanents, omniprésents dans les moteurs et les générateurs. Pour les recycler, les chercheurs utilisent un procédé qui bloque le fer tout en laissant les terres rares accessibles, afin de les récupérer plus facilement. Résultat : on récupère plus de matériaux utiles, tout en polluant moins.
Un autre projet, en partenariat avec des industriels du déchet, vise à valoriser le cuivre à partir de cartes électroniques usagées. Les chercheurs ont travaillé sur des objets du quotidien comme les circuits qu’on trouve dans nos téléphones ou nos ordinateurs. En séparant les couches, puis en utilisant un traitement chimique, ils ont réussi à récupérer un cuivre presque aussi pur que celui utilisé dans l’industrie. Un exploit technique, mais aussi une promesse d’économie circulaire véritable.
Une transition sous tension
Ce que révèle le travail d’Alexandre Chagnes, c’est que derrière chaque geste écologique — acheter un véhicule électrique, installer une éolienne, changer son téléphone — se cache une autre réalité moins visible : celle de la gestion des métaux. Recycler, extraire autrement, innover chimiquement. Ce sont les clés d’une transition énergétique qui ne crée pas de nouvelles dépendances.
Alors que les tensions sur les ressources s’exacerbent, que les chaînes d’approvisionnement se fragilisent, et que les exigences environnementales se durcissent, le rôle des chercheurs comme Alexandre Chagnes devient central. Ils tracent les chemins discrets mais essentiels d’un futur plus sobre, où chaque atome compte.
Et après ?
Demain, il ne s’agira plus seulement de recycler, mais de concevoir des objets pensés pour être désassemblés, réparés, refondus. Alexandre Chagnes en est convaincu : la recherche devra désormais collaborer étroitement avec l’industrie et les décideurs publics pour imaginer un modèle où les matériaux circulent, plutôt que d’être extraits puis jetés. C’est peut-être là, dans ce changement de regard, que réside la véritable révolution.
Sources
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Salces, A. M. et al. Corrigendum to ‘A contribution to understanding ion-exchange mechanisms for lithium recovery from industrial effluents of lithium-ion battery recycling operations’ [J. Environ. Chem. Eng. 12 (2024) 112951]. Journal of Environmental Chemical Engineering 12, 113902 (2024).
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Shqairat, A., Liarte, S., Marangé, P., Nuur, C. & Chagnes, A. Transition réglementaire en Europe: Vers une économie circulaire dans le secteur des batteries lithium-ion pour les véhicules électriques. in Congrès Interdisciplinaire sur l’Economie Circulaire CIEC-2024 (Montpellier, France, 2024).
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