Cancer du sein : et si les blessures de l’enfance compliquaient la guérison ?

Nos articles signatures • 22/09/2025 • 6 min

« Rémission. » Un mot qui sonne comme une victoire. Un point final après le combat contre le cancer du sein. Mais pour certaines femmes, les cicatrices de l’enfance s’invitent dans le parcours de guérison, invisibles mais puissantes. Brisons ce tabou.

  • Santé

Introduction

Chaque année, le cancer du sein touche des millions de femmes. En 2022, c’est 670 000 décès recensés dans le monde. Première cause de mortalité chez les femmes, ce cancer laisse aussi derrière lui des survivantes, souvent seules et désarmées face à une vie à reconstruire. Au-delà de la victoire apparente, fatigue persistante, dépression, anxiété, peur de la récidive sont autant de séquelles invisibles, rarement prises en charge. Une réalité qui commence à être explorée par les équipes de recherche afin de comprendre comment accompagner ces femmes pour une guérison complète. Et si les difficultés à se relever de cette maladie n’étaient pas seulement dues aux traitements ? Et si les blessures de notre enfance, les traumatismes et l’adversité vécue durant cette période avaient des conséquences lors de la rémission de ce cancer ? Ce sont ces interrogations qui ont poussé Christine Rotonda, experte Unys, cheffe du Pôle Recherche au Centre Pierre Janet (UL) et chercheuse en santé publique et épidémiologie, au laboratoire INSPIIRE (Inserm – Université de Lorraine), et ses collègues* à lancer CAPONE-Cancer, une étude pour mieux comprendre l’impact des expériences de vie passées sur la reconstruction post-cancer.

L’ombre du cancer, même après la guérison

« Le cancer est fini, mais leur vie doit reprendre et, parfois, il est difficile de conjuguer justement la fin de la maladie et cette nouvelle vie », explique Christine Rotonda. Durant toute la période de traitement, l’équipe médicale suit les patientes dans leur parcours de soins, mais une fois en rémission, elles se retrouvent seules. « Pendant les traitements, elles sont accompagnées, mais lorsqu’ils s’arrêtent, elles se sentent abandonnées », déplore la chercheuse. Pourtant, seulement un quart des patientes font l’objet d’un suivi médical ou paramédical post-cancer. Christine Rotonda et ses collègues ont voulu en savoir plus sur les zones d’ombre de cette « vie après le cancer ».

Quand les blessures du passé influencent le présent

L’équipe s’est posée une question simple mais audacieuse : les traumatismes vécus dans l’enfance peuvent-ils impacter la rémission des cancers du sein et la qualité de vie de ces patientes ?

 

Violence, négligence, instabilité, harcèlement… autant de facteurs qui peuvent influencer le développement des enfants et laisser des cicatrices « invisibles ». Ce que les chercheurs appellent « l’adversité dans l’enfance » pourrait bien peser dans la balance des années plus tard. Il est déjà connu que ces traumatismes précoces peuvent influencer le développement physique et psychologique. Mais le lien avec la capacité à se relever d’une maladie grave comme après un cancer du sein restait largement inexploré. « Mesurer l’adversité, c’est assez novateur », explique Christine Rotonda.

Toutes les femmes ne réagissent pas de la même manière. La résilience, cette capacité à s’adapter et à rebondir face aux épreuves de la vie, joue un rôle majeur. Plus une femme est résiliente, moins elle présentera d’anxiété et de dépression après la maladie. Le type d’attachement vécu dans l’enfance compte également. Avoir été entourée et soutenue permettrait une meilleure qualité de vie dans la rémission.

Mais comment mesurer tout cela scientifiquement ? L’équipe s’est basée sur un outil développé par l’OMS, le questionnaire ACE-IQ (Adverse Childhood Experiences International Questionnaire). Il permet d’évaluer l’exposition d’une personne à des expériences défavorables durant l’enfance. Il mesure différents types de violences (physiques, psychologiques, sexuelles), de négligence et de situations familiales difficiles (séparation des parents, troubles mentaux, addictions parentales…). On peut ainsi mieux comprendre les impacts sur la santé physique et mentale à l’âge adulte. Mais voilà, il n’existait pas en français. « Cette traduction a été le premier challenge relevé par l’équipe ! Chaque mot est important et n’a pas la même signification d’une langue à une autre », explique Christine Rotonda. Le questionnaire est désormais validé et utilisable dans le monde francophone. Et les résultats peuvent également être comparés à ceux d’autres pays.

Comprendre les histoires de vie : ouvrir de nouvelles pistes thérapeutiques

Les résultats de l’étude CAPONE-Cancer, recoupés avec la littérature scientifique, parlent d’eux-mêmes : plus les participantes ont connu d’adversité dans leur enfance, plus elles sont susceptibles de souffrir d’anxiété, de fatigue, de peur de la récidive et plus leur qualité de vie est dégradée. Cette même adversité semble aussi limiter leur capacité de résilience et influencer leur type d’attachement adulte. Pour l’équipe de recherche, ces résultats soulignent l’urgence de prendre en compte le vécu et l’enfance des patientes dans leur prise en charge.

Les données chiffrées ne racontent pas tout. Des entretiens menés auprès des patientes dévoilent une réalité plus complexe : celle de trajectoires personnelles où les blessures de l’enfance résonnent avec le vécu de la maladie. Pour certaines femmes, le cancer a réveillé d’anciennes souffrances ; d’autres évoquent leur lutte pour s’adapter, se reconstruire. Autant de stratégies conscientes et inconscientes mises en place pour faire face et lutter contre de vieux démons. Une nouvelle mise en lumière du lien entre passé et rémission. Pour Christine Rotonda, c’est un point essentiel. « Comprendre ces histoires de vie permet d’ouvrir de nouvelles pistes thérapeutiques. Derrière les symptômes, il y a des parcours et il faut les écouter. »

Le corps se souvient : des cicatrices jusque dans les gènes ?

Et si ces blessures du passé s’inscrivaient jusque dans les gènes ? C’est l’une des pistes que l’équipe souhaite explorer : le mécanisme de l’épigénétique. C’est la science qui étudie comment certains gènes peuvent s’activer ou se désactiver en fonction de l’influence de l’environnement, sans que l’ADN lui-même ne soit modifié. Stress chronique, alimentation, pollution… autant de facteurs capables d’influencer l’expression génique.

Qu’en est-il des traumatismes de l’enfance ? Pour l’heure, la recherche n’en est qu’à ses prémices. « On connaît déjà le nom de certains gènes qui sont surexprimés ou sous-exprimés lorsqu’il y a eu de l’adversité dans l’enfance », raconte Christine Rotonda. Reste à identifier plus précisément lesquels et bien sûr comprendre leur rôle dans le vécu post-cancer. « Des premiers tests ont déjà été effectués, mais malheureusement nous n’avions pas assez d’échantillons », déplore Christine Rotonda. Le matériel génétique n’a donc pas pu être analysé en profondeur. Mais une chose est sûre, le corps garde des traces. Et ce champ de recherche ouvre bien des perspectives de compréhension pour expliquer pourquoi certaines femmes ont plus de difficultés que d’autres à se relever de la maladie.

Penser l’après-cancer autrement

Pour Christine Rotonda et son équipe, un constat s’impose : il faut penser l’après-cancer autrement. Donner aux patientes des outils pour affronter cette « nouvelle vie », former les professionnels de santé à cet accompagnement et surtout lever le tabou autour de cette période encore trop passée sous silence.

Avec le projet Capone, les premiers jalons ont été posés. Comprendre le ressenti post-maladie, identifier les patientes les plus vulnérables et ouvrir des pistes concrètes pour une meilleure prise en charge. Un enjeu de santé publique et un pas de plus vers une guérison complète.

*Pr. Marion Trousselard, chercheure INSPIIRE (Inserm – Université de Lorraine), Médecin Chef des Services, Pr. Cyril Tarquinio, directeur adjoint de l’unité de recherche INSPIIRE, (Université de Lorraine et Inserm) et directeur du Centre Pierre Janet de l’Université de Lorraine

Sources

Cancer du sein. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/breast-cancer.

Tarquinio, C. L., Trousselard, M., Rotonda, C. & Tarquinio, C. Modèles descriptifs de l’adversité vécue durant l’enfance (Adverse Childhood Experiences) et implications pour la recherche : état des lieux et perspectives. Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique 182, 242–250 (2024).

Camille, L., Tarquinio et al. Psychometric validation of the French version of the adverse childhood experiences international questionnaire (ACE-IQ). Children and Youth Services Review 150, 107007 (2023).

Tarquinio, C. L., Trousselard, M., Rotonda, C., Jacquet-Smailovic, M. & Tarquinio, C. Réflexions autour du champ de recherche des expériences adverses vécues durant l’enfance (Adverse Childhood Experiences [ACEs]) — vers une clarification conceptuelle. Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique 181, 128–136 (2023).